jeudi 10 mars 2011

Manifestations et pillage à OUAHIGOUYA ( BURKINA FASO)

La ville de Ouahigouya a ressemblé hier mercredi 9 mars 2011 à une ville fantôme. Des élèves, aidés par quelques citoyens en colère suite au décès de l’élève Justin Zongo à Koudougou, ont cassé et brûlé des services publics. Le siège du CDP (parti au pouvoir), la résidence du gouverneur, tous les démembrements de la police, le Conseil régional, la mairie, la douane et une partie du Palais de justice sont partis en fumée. Conséquences : grand marché, banques, stations d’essence, commerce de rue et services administratifs ont gardé portes closes pour échapper aux scènes de violences et de pillage visiblement très bien organisées.

La furie a débuté peu avant 8h avec l’incendie du Commissariat central de police de Ouahigouya. Des vélos et des motos sont entassés sur la voie avant d’être brûlés. Le bureau du Directeur provincial de la Police est visité, vidé de ses documents administratifs avant que tout le commissariat ne s’embrase. La Direction régionale de la Police du Nord est à son tour entièrement consumée. Le Conseil régional qui a un mur mitoyen avec la Direction régionale de la Police n’est pas épargné. De là-bas, les manifestants déterminés se sont rendus à la résidence de madame le gouverneur de la région du Nord où ils ont d’abord pris le temps pour piller les biens.

Le matériel électroménager a été vandalisé. Les ordinateurs, les réfrigérateurs, les fauteuils rembourrés, etc., ont été emportés ou brûlés. Avant de mettre le feu à la maison, les visiteurs, les élèves, se sont servis en boissons sucrées comme alcoolisées. A l’intérieur, les flammes ont été particulièrement violentes à cause des bouteilles de gaz qui s’y trouvaient. A la résidence même du gouverneur, un des gendarmes qui assurait la garde a échappé de peu à la vindicte populaire. Après avoir échoué à expliquer qu’il n’est pas policier, il finit par prendre ses jambes à son cou. Une fois la maison du gouverneur incendiée, la foule s’ébranle vers la Police municipale. Ce service a été aussi incendié. A une centaine de mètres de là , se dresse l’imposant bâtiment qui sert de siège au Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP).

ll sera, lui aussi, incendié. La foule, désormais incontrôlée, occupe toutes les grandes artères de la ville. Panneaux, feux de stop, tout est détruit au passage. Le mouvement de foule arrive aux environs de 10 h à la Maison d’arrêt et de correction de Ouahigouya (MACO). Mission : libérer tous les prisonniers. Le régisseur de la MACO entame des négociations rudes avec une partie des manifestants pendant que l’autre partie menaçait de passer à l’action. Au finish, les modérés ont pu s’imposer et la MACO a été épargnée. La prochaine cible des manifestants a été la Direction régionale de la Douane. Les dégâts matériels y sont considérables.

Des armes et des munitions ont même été emportées à ce niveau. Dès leur arrivée, les manifestants, après avoir forcé le portail, s’introduisent à l’intérieur et prennent le plaisir de tout saccager. Partout, le scénario est le même : piller, casser et brûler. Des citoyens dont des marchandises avaient été saisies par la Douane en ont profité pour les récupérer. La mission accomplie, les manifestants on rebroussé chemin, non sans avoir posé un acte de citoyenneté en allant remettre la caisse à munitions à la gendarmerie. Le patron du coin a réceptionné la caisse et une partie de son contenu, puis les a remerciés pour leur acte.

Sympathisant avec les éléments de la gendarmerie, les mécontents ont pris la route du Palais de justice. Mais avant d’y arriver, ils ont fait un détour au bâtiment flambant neuf censé être la propriété du gouvernorat. L ‘immeuble verra ses vitres brisées, ses meubles emportés mais sans être incendié. Au Palais de justice, c’est le hangar du parking situé à l’entrée qui a fait les frais des premières flammes. Le poste d’accueil, les bancs, les chaises servis lors des audiences sont aspergés d’essence et brûlés allègrement. "Mettez le feu au palais d’injustice", a crié un manifestant derrière un élève qui portait une robe de magistrat sous les ovations de ses camarades.

Des documents et quelques bureaux sont gagnés par les flammes. En ce moment, le commandant de la compagnie de gendarmerie, le sous-lieutenant Julien Zongo, s’approche avec ses hommes et demande humblement aux enfants de venir l’écouter. Ces derniers obtempèrent. Avec une voix qui en dit long sur la gravité de la situation, le patron des pandores leur dit à peu près ceci : « Nous sommes plus que marqués par ce qui est arrivé à votre camarade de Koudougou. C’est votre droit le plus absolu de revendiquer la vérité sur cette affaire. Regardez très bien, mes cheveux (NDLR : il enlève son béret). Ils sont bien blancs, n’est ce pas ? Donc, j’ai parmi vous mes enfants.

Je vous demande pardon, ne brûlez pas le palais. Vous êtes appelés à être des policiers, des gendarmes et même des présidents de ce pays. Vous devez passer des concours et cela vous nécessite des papiers. » A ces mots, les élèves acceptent de se disperser mais ne cessent pas pour autant leur mouvement. Le soleil est déjà au zénith mais la liste des services à visiter n’est pas close. Ils repartent à la mairie qu’ils ont brûlée en partie. Dans leur parcours, les jeunes arrivent au Centre hospitalier régional de Ouahigouya. Après d’âpres discussions avec quelques sages personnes, les manifestants se retirent.

Du CHR, ils se rendent au restaurant Cadiami . Ils voulaient se désaltérer sans payer. La patronne s’y oppose et ce qui devait arriver arriva. Frigos vidés de leur contenu, menu emporté, matériel saccagé ou dévalisé. A partir de là, la contestation prend une autre tournure avec pour cibles privilégiées des propriétés privées. Dans cet ordre d’idées, le maquis Montania géré par un douanier a fait les frais de ce mouvement généralisé. Le maître mot : pillage.

Il était 12h 50. Tout Ouahigouya était pris en otage par les élèves qui ont décidé à partir de cet instant de finir avec la résidence du maire de Ouahigouya dont le service, en pleine réfection, venait à être brûlé. Informés, des jeunes pour la plupart des militants du CDP, déjà dépassés par l’incendie du siège de leur parti, décident de s’interposer. « Trop c’est trop". Nous ne pouvons plus laisser les enfants dans leur sale besogne. Il faut qu’on leur dise qu’ils doivent arrêter maintenant », tempête Illa Ouédraogo, un des farouches militants du parti au pouvoir. Armés de gourdins, de machettes et de barres de fer, les résidents du secteur n°1 attendaient de pied ferme les manifestants.

Et c’est ce qui a permis d’éviter le saccage chez le bourgmestre. Entre-temps, ce dernier est ex filtré de sa résidence puis amené en un lieu sûr. Beaucoup de pontes du parti au pouvoir étaient obligés de "se chercher’’. Dans la soirée, Ouahigouya présentait le visage d’une ville sinistrée, méconnaissable. Les manifestants ont-ils agi de leur propre chef ou étaient-ils téléguidés ? A cette question, un élève répond : "C’est vrai que lors de notre réunion le 8 mars, nous n’avions pas prévu de tout casser. Mais au fur et à mesure qu’on brûlait les édifices, nous étions excités.

Et puis, certains petits commerçants nous ont rejoint et nous indiquaient les lieux à saccager. » Vous regrettez ces actes ? "Pas du tout", répond notre interlocuteur qui semble avoir pris une dose de plus d’alcool lors de la casse au restaurant. Des autorités régionales que nous avons tenté de joindre au téléphone sont restées injoignables ou se sont refusées à tout commentaire.

Hamed NABALMA

Le Pays